L'histoire du cardon

La réputation gourmande de Lyon et de sa région n’est plus à faire. La cuisine lyonnaise c’est celle des bouchons, autant que celle de Paul Bocuse. Et dans son patrimoine culinaire, entre les triperies et la soupe VGE, on trouve bien un légume, à la fois méconnu et incontournable : le cardon. 

Dans la région de Lyon, qu’Olivier de Serres père de l’agronomie, décrit déjà au XVIe siècle comme le « vrai pays des cardes », son développement a donné naissance à une variété unique, sans épine (l’inerme vert) dite de Vaulx-en-Velin, qui donne des cardes charnues, guère filandreuses, et peu amères. 

Cette variété prisée des gastronomes, aujourd’hui privilégiée par la maison Héritier, a fait du cardon, à Lyon, un incontournable à la fois des repas familiaux et des tables gastronomiques. On pense d’un côté au gratin de Noël : si dans le Gros souper provençal la carde se marie avec l’anchois, en région lyonnaise il passe au four dans une sauce à la moelle.

Mais on pense aussi à ses versions luxueuses qui, dans la lignée des Mères comme de Paul Bocuse, associent aujourd’hui le légume au foie gras ou à la truffe.

Le cardon est si lié à Lyon, qu’on devient lyonnais en le découvrant. Un futur maire de la ville, pour prouver sa lyonnaiserie, déclarait ainsi pour plat préféré « le cardon ! ». Et répétait cet adage de cuisinier : c’est un légume qui « se mérite ».

Si nombre de plantes aujourd’hui consommées en Europe sont d’importation relativement récente (qu’on pense aux légumes composant la ratatouille), le cardon semble avoir été cultivé, au moins dans le Sud du continent, depuis plus de 2000 ans. Pline l’Ancien décrit de vastes cultures de ce qui était alors un mets de luxe, dans les environs de Carthage. Et l’Art culinaire d’Apicius offre déjà de le cuisiner. Les romains semblent avoir fait d’une même plante sauvage deux légumes distincts : l’artichaut dont on développa le capitule, et le cardon, dont on allongea et affina les côtes. 

Pour la suite de l’histoire, deux légendes s’affrontent : l’une veut que le cardon, ayant continué son existence en Afrique du Nord, serait remonté en Europe durant les croisades. D’autres que sa culture se serait poursuivie en Italie, et qu’il aurait rejoint les châteaux de la Loire à la Renaissance. Il est vrai qu’il existe une variété « de Tours », proche de celle (« l’épineux argenté ») encore cultivée autour de Genève, où se sont réfugié les huguenots. De ce parcours chaotique on trouve la trace en regardant de plus près la cuisine du Maghreb, italienne, de Provence, de Suisse, et de Savoie.

Le cardon fait office, à l’automne, de trait d’union entre le repas de famille et la table gastronomique. Et c’est pourquoi la maison Héritier, productrice de cardons depuis trois générations, est autant le fournisseur de restaurants étoilés, comme ceux d’Alain Ducasse, que de conserves artisanales accessibles à tous.